Le coin des artistes - Gilles Goiset, écrivain

Gilles GOISET : morceaux choisis

Poêmes : |APREY| |HALLE|
Récits .. : |Le chemin du bois| |Les courses au village| |M.Guyet maréchal ferrant|

Aprey

O village que j'aime !
Ton prénom de faïence,
Au laboureur qui peine,
Apporte l'abondance.

De l'argile pétrie,
Tu tirais mille fleurons,
A faire pâmer d'envie,
Toutes les générations.

Servin t'offrait son verre,
La couleur du Pontot,
Du four à réverbère,
Embrassait Champmontot.

De tes tuiles Cambrées,
Tu couvrais les toitures,
Tandis que le paysan courbé
Récoltait le foin mûr.
Les coteaux de tes Vignes,
Les fûts de tes forêts
Accompagnaient d'un signe
Les cris de tes marchés.

Sous leur lourde charpente,
Depuis le roi François,
Tes halles à demi-pentes
Transcendaient ton émoi.

De ce riche passé,
Tu gardes en souvenir,
Au creux d'une fraîche vallée,
Un fabuleux sourire.

Halle

Halle du temps jadis,
Ton nom résonnait foire,
Apportant en prémices,
Un grand regain d'espoir.

Sur ta forte charpente,
De belles laves couverte,
Quelques tuiles saillantes
Entrelaçait ton faîte.

De lourds piliers de bois,
Des arcades et voussures,
Te garnissant de traînes,
Supportaient ta toiture.

Au temps du roi François,
Par belles lettres patentes,
Tu obtins le bon droit
De conclure nobles ventes.
Tes marchands ambulants,
Au gré de leurs étaux,
Aux couleurs de safran,
T'apportaient leurs cadeaux.

Tes hauts murs de pierre
Gardent encore, familiers,
Les beaux fruits de la terre
Présents à tes marchés.

Rêve d'antan à jamais révolu,
Grand champ par ceux là délaissé,
Le passage des ans, jetant son dévolu,
A éteint désormais les feux de ton passé.

Tes clameurs se sont tues
Un long temps a effacé
Ta mémoire d'ingénue,
En quête d'éternité.

Le chemin du bois

Il est un chemin mythique pour les nombreuses générations qui l'ont fréquenté et pour celles, moins nombreuses, qui le fréquentent encore. Reliant le petit village d'Aprey à son hameau de Villehaut, sur un parcours d'environ un kilomètre, Vue de Villehaut - le chemin du boisil serpente à travers rochers et pierres au milieu d'un taillis sous futaie. Aussi, tout naturellement le dénomme-t-on le "Chemin du bois" ou encore le "Chemin de Roche Martin", patronyme que porte cette contrée de notre territoire. une autre dénomination lui sied également parfaitement "le sentier raide", qualificatif ô combien justifié si l'on songe aux fortes pentes qui le marquent et permettent de magnifiques points de vue tant sur les maisons du village accrochées et soudées à flanc de coteau, ou à l'autre extrémité sur le premier groupe de bâtisses du hameau.
Jadis, les loups rôdaient dans cette contrée, à tel point que plusieurs enfants avaient été dévorés là, conférant à nos fraîches mémoires, une certaine inquiétude qui se dissipait vite puisque nous n'y avons jamais rencontré qu'un renard au poil roux, un chevreuil bondissant ou plus fréquemment la présence du coucou, du merle ou de la mésange. Revenant de l'école avec mes frères et sœurs et quelques petits voisins de Villehaut, je me rappelle la rencontre impromptue d'une bande de cochons noirs, tous près des premières maisons. ce jour-là, notre peur avait été bien réelle, mais en y réfléchissant bien aujourd'hui, elle avait dû être réciproque chez les différents protagonistes, enfants et bêtes.
Lorsque, de temps à autre, je me promène, sur ce sentier qui fut celui de mon enfance et dont je connais le moindre recoin, je ne peux m'empêcher de remettre à flot foule de souvenirs, certains cocasses, d'autres beaucoup plus ordinaires qui restent à jamais incrustés dans ma mémoire. Il faut dire que je fréquentais cette route quatre fois par jour en direction de l'école avec les gamines et gamins de mon âge, petits du cours préparatoire ou grands de fin d'étude, quand ce n'était pas, en plus, le dimanche ou les jours de fête, pour assister à la messe ou le jeudi au catéchisme.
Nous n'étions plus alors que sept ou huit écoliers à faire ces allées et venues, imaginant le fort contingent qui nous avait précédé et sans pouvoir nous douter que les élèves de la fin du siècle seraient ramassés par le car. Parfois le quotidien nous semblait monotone et nous rallongions le trajet de quelques intrusions dans les "tranches" ou autres chemins de débardage moins connus. Cinquante hectares de chênes, charmes, hêtres, cornouillers et différentes essences constituaient notre petit royaume avec, l'imagination aidant, ses fées, ses trolls et ses mystères.
Qu'elle était belle notre forêt, lorsque le froid d'hiver y avait déposé une épaisse couche de neige dans laquelle nous gambadions allègrement sans nous soucier des branchages lourdement chargés qui nous faisaient une haie surbaissée sous laquelle un adulte aurait eu beaucoup de mal à se faufiler ! Quel enchantement quand, nous réveillant, après avoir dégusté lait et tartines et enfilé nos chaussures fourrées, nous découvrions un univers de rêve tout décoré de multiples guirlandes de givre qu'un pâle rayon venait tamiser d'une douce lueur ! Assurément, nos copains du village ne pouvaient comprendre, eux qui ne parcouraient que très occasionnellement ces lieux pour nous, chargés de bruits, d'odeurs et d'éclat. ils ne pouvaient imaginer notre adaptation à ce milieu "polaire", qui, une fois le printemps revenu, se trouvait subitement tapissé de jacinthes, anémones et feuillages verdoyants.
C'est là que, pour nous permettre d'arriver plus vite - c'est du moins ce que nous laissions entendre - nous transformions notre cartable en luge pour atteindre les premières maisons du village.
Ici, nous croisions toujours les mêmes figures sympathiques : Cécile avec son moignon toujours à la tâche; Maria, vieille demoiselle que les ans avaient cassée en deux et à qui, quatre fois par jour, nous répétions "Bonjour Maria" pour nous voir répondre, également quatre fois par jour, d'une voix nasillarde "Bonjour les enfants !". Il faut dire, qu'histoire de taquiner, nous provoquions, chaque fois, sa gentillesse innée. et puis, légèrement en contrebas, à un angle prononcé du "sentier raide", habitait le vieux cordonnier, un homme d'une grande bonté, chez qui nous avions toujours à faire... "Bonjour, Juste, je viens chercher la paire de souliers de mon grand-père." Il quittait alors nonchalamment son établi pour se mettre à la recherche, dans un amas de chaussures de toutes tailles et de toutes formes, l'objet désiré. "Ah, les voilà ! Tu repasseras demain, je n'ai pas eu le temps de les réparer." Au bout de quelque temps, nous avions fini par comprendre que le bonhomme voulait faire plaisir à tout le monde et que nous devions espacer quelque peu nos démarches, même si, le matin, grand-père, grand-mère ou quelque voisin nous en avait intimé l'ordre. En quelque sorte, nous nous faisions complice de la générosité du cordonnier et trouvions facilement une excuse pour n'avoir pu, en temps voulu, effectuer la démarche. Ces noms, ces figures sans âge restent à tout jamais gravés dans ma mémoire et immanquablement attachés à "la légende du Chemin du bois".

Le chemin du bois : "Les courses au village"

Aujourd'hui n'était pas jour ordinaire et nous devions, mon frère ma sœur et moi "aller souhaiter la bonne année" à notre instituteur. Chaque jour de l'an, le cérémonial revenait immuable : après les vœux aux parents et grands-parents, nos pensées devaient se diriger vers Monsieur l'instituteur.
Ce devait jadis être pareil avec Monsieur le Curé, seulement celui-ci avait plusieurs paroisses et habitat désormais Baissey, le village voisin.
Toujours les mêmes recommandations : "vous n'oublierez pas d'être polis !" et puis 'Maison"vous allez faire attention au coq, il est bien enfermé dans son panier d'osier, les pattes liées par une ficelle !". Le présent offert, en ce jour, en récompense des loyaux services de l'éducation, était donc un joyeux volatile.
Quelle aubaine ! Déjà germait, dans nos petits esprits, l'idée de le lâcher dans Roche Martin, histoire de voir. De là à passer à l'action, il n'y eut qu'un pas, qu'au bout de cinq cents mètres et malgré quelques réticences, nous sautâmes rapidement. Quelle ne fut pas notre surprise de voir le gallinacé, une fois libéré, hésiter, secouer un peu sa crête, comme pour sortir de sa léthargie, puis, d'un trait, partir en sous-bois ! Et nous trois de le poursuivre, d'exciter sa démarche puis d'essayer de l'attraper ! Pourtant peu à peu, la réalité revint bien en face et une certaine inquiétude commença à emplir nos cerveaux insouciants : "Que dirait Monsieur G. si nous arrivions les mains vides?... Cela ne se concevait pas! Papa et maman ne manqueraient pas d'en être avertis et alors gare à la baguette !... Et puis, au bout de notre périple, se trouvait la compensation : un album à colorier pour l'un, un livre pour les autres...".
Non, décidément, il fallait que l'animal rejoigne sa ficelle et sa cage, au plus vite. Il ne finirait pas à l'état sauvage ou dans le ventre de Goupil ! ... Nous arrivâmes enfin à l'encercler... Qui de nous trois réussit à le prendre, je ne sais, mais il est bien sûr maintenant que Chanteclair terminera dans la marmite de Mme G. et que personne ne saura rien, jusqu'à ce jour, de la mésaventure.

Un jeudi, jour de catéchisme, deux autres préoccupations hantaient nos esprits alors que nous cheminions tranquillement dans "le sentier raide".
Nous transportions avec nous ce que nous croyions un trésor, quelques billets et pièces et aussi un collier de chien en fort mauvais état. La pauvre bête qui le portait avait dû tant tirer dessus qu'il n'était plus qu'un lacet de cuir rongé.
Nous étions en avance et tout en récitant quelques pater ou ave appris par cœur, sur lesquels Monsieur l'Abbé Lequin ne manquerait pas de nous interroger, nous pensions déjà à nos deux commissions.
La première devait avoir lieu chez Monsieur Paquis, le bourrelier, originaire du village de Villiers et qui, chaque jour, venait retrouver la boutique que lui avait légué son beau-frère. Elle occupait au centre de l'agglomération, une bâtisse de briques rouges qui fleurait bon le harnais, le cuir et la laine, car Monsieur Paquis exerçait en même temps le métier de matelassier. A peine arrivés, nous le saluâmes poliment avant d'entendre d'un air bourru : "Bonjour les enfants ! Que veulent donc les Goiset ?". Et nous d'enchérir : "Monsieur, papa nous a laissé un collier pour vous... C'est juste pour la taille !"... "Il faudrait en refaire un neuf !..." Aucune autre parole ne devait plus être échangée sur ce sujet. Notre homme avait compris, avait même peut-être deviné, et nous savions pertinemment que le lendemain, au retour de l'école, nous pourrions venir chercher un collier flambant neuf pour notre chienne Jaquette.
La conversation avait bien vite dévié car notre bourrelier aimait connaître les nouvelles sur les faits et gestes de Villehaut, la santé des personnes âgées, l'état d'avancement des récoltes, la participation d'une vieille demoiselle à la foire de Langres ou encore les bizarreries des deux vieux garçons de la ferme de Villebas. Sans nous en apercevoir, notre avance au catéchisme avait fondu comme neige au soleil et nous arrivâmes bons derniers au but principal de notre voyage. Monsieur l'Abbé était de fort bonne humeur ce jour là et même pour mon frère qui avait parfois du mal à réciter son acte de contrition, tout se passa bien.
Maintenant l'épicerie de Madame C... nous tendait grand les bras, c'est là que nous devions placer notre trésor en un râteau de bois, deux bobines de fil, un bloc de chocolat et un flacon de brillantine... Sous l'enseigne, la porte avait sonné, comme à chaque fois, découvrant un vaste espace à sol de bois avec, sur le côté gauche, une enfilade de rayons mystérieux dont nous savions seulement qu'ils touchaient de près le monde agricole et, juste en face des caissettes de mercerie, contenant fils, aiguilles et autres assortiments de couturière. Pourtant la question principale, objet de toute convoitise, résidait en de grands bocaux qui trônaient sur le comptoir, bocaux aux couvercles vissés qui contenaient des caramels à un centime. La commande vite livrée par la gentille Madame C.... nous étions à supputer sur le volume de menues pièces qu'il allait nous rester pour satisfaire notre gourmandise. En tout et pour tout, vingt centimes demeuraient à l'appel, aussitôt investis sans que nous ayons eu les recommandations d'usage. "Vous direz à votre grand mère Madeleine qu'elle passe me voir dimanche".
A peine sortis, nous commençâmes notre dégustation, de quoi nous redonner force pour gravir "le sentier du bois".

Le chemin du bois : "M. Guyet, maréchal ferrant"

Très souvent, notre pérégrination nous conduisait chez M. Guyet, le maréchal ferrant, réparateur et fabricant en tout genre aussi bien dans le domaine du fer que celui du bois.
Sa "boutique" comme il l'appelait, à l'enseigne de "Mac Cormick", distante de quelques centaines de mètres de son domicile, nous accueillait, M. Guyet, devant sa forge, en 1988beaucoup plus vaste que celle du bourrelier ou du cordonnier, un univers de machines bizarres parmi lesquelles nous reconnaissions des étaux, des scies, des entrelacements de courroies, des planches à raboter et, dans un angle, devant la grande baie vitrée, la forge où rougeoyaient en permanence quelques barres de métal. L'odeur de graisse, de corne fraîchement taillée ou de sciure nous saisissait dès l'entrée qui jouxtait un sol de pavés mis en hérisson placé devant un grand mur d'où pendait un anneau qui formaient ensemble l'aire de ferrage.
Notre artisan n'était pas là, "il ne devait pas être bien loin" pensions nous car sa cigarette fumait encore sous l'établi. D'un pas alerte, nous traversâmes le vaste hall pour ouvrir la porte arrière directement sur le jardin.
Il ne s'y trouvait pas non plus... "Où diable pouvait-il avoir conduit ses pas ?" Notre course ne pouvait attendre en ce temps de fenaison qui sentait bon les vacances d'été. Mme Guyet, sa mère occupait une maison juste devant l'atelier, nous connaîtrions bientôt la destination du boutiquier...
Jeanne, ancienne couturière, était occupée à mettre un ourlet à une belle pièce de tissu, elle nous ouvrit rapidement nous voyant porter à deux, une grande barre enveloppée dans un chiffon.
"Vous voulez voir mon fils pour votre scie ?"...
Comment avait-elle pu deviner ?...
"Il va revenir.. Il est juste descendu pour déjeuner. Attendez-le !".
Nous étions impardonnables d'avoir oublié qu'à huit heures du matin, un maréchal-ferrant avait déjà une longue journée de travail derrière lui, et qu'après tout, il avait bien droit à un grand bol de café. Assis sur le mur qui limitait la propriété toute proche d'une bergerie située en contrebas, nous écoutions les bruits familiers sans nous inquiéter de l'heure de l'école qui commençait à 8 h 30, quand, soudain, une conversation assez forte nous ramena à la réalité. Mme Guyet avait trouvé, sur sa route, M. S.... le garagiste chez qui, à cette époque, nous avions rarement à faire, si ce n'était pour un patin de vélo, un petit flacon d'huile ou la réparation d'une chaîne. L'ère n'était pas encore vraiment à l'automobile... Une seule "C4" peuplait le hameau... Cela viendrait plus tard !
Les minutes s'égrenaient sans que notre réparateur ne se doutât de notre hâte à le rencontrer. Nous allions partir quand, enfin, il arriva et, de sa voix sèche - toujours la même - sortit.
"Il vous la faut pour quand ?".
Et nous presque gênés :
"Pour ce soir, papa doit aller faucher au champ à la caille demain matin.".
Immanquablement suivait :
"Tu diras à ton père que je n'ai pas que ça à faire..." et puis, après un bref répit, "vous pourrez venir la chercher, elle sera faite...".
C'était toujours comme cela avec M. Guyet, au point que, chaque fois que nous le visitions, une certaine appréhension se faisait nôtre. Nous devions découvrir, bien longtemps plus tard que, sous cet aspect bourru, se cachait un être sensible, un magicien de l'objet et de la besogne bien faite, à qui nous devions brouettes, remorques, roues ou autre matériel qui continuent à fonctionner, pour certains, quelques quarante années après.
Heureusement, le temps a su garder intact "la boutique", mémoire de tant de hauts faits de notre village...
Le soir, la scie avait subi une cure de jouvence, dents remises, rivets finement limés, et après un nouvel emballage dans le chiffon, nous pouvions repartir à destination de " Roche Martin ", non sans qu'un bref appel eût retenti :
"Je monterai à Villehaut demain à 10 heures, vous avez bien entendu ... 10 heures... pour ferrer votre vache qui boîte".
Nous étions sûrs que, le lendemain à une minute près, notre vache, privée de la compagnie de ses congénères au pré, sortirait de l'étable, serait attachée à l'anneau du mur devant notre ferme et que M. Guyet sortirait de sa sacoche de toile, un marteau, des clous et un ciseau, que, d'une corde entrelacée, papa soulèverait la patte de la bête tandis que commencerait le lent travail de taillage de la corne qui recouvrait le sabot de l'animal.
S'engagerait alors la conversation, sur un ton gai, entrecoupé de gros rires ou de quelques jurons quand Marguerite se mettrait à bouger.
Comment cet homme, si dur avec nous, pouvait-il se montrer intarissable et jovial avec notre père ?... Il devait y avoir un secret d'adultes là-dessous !


Date de création : 26/06/2006 @ 22:18
Dernière modification : 01/07/2006 @ 20:07
Catégorie : Le coin des artistes


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